Drôles d’oiseaux
Dessins et collages de Pierre Desfons
pondu ça, 2. 2017
Dessin Pierre Desfons
Encre de chine, pastel, collage
Pièce unIque
10,5 x 17 cm
© Michel Bellaiche
FLAIR Galerie présente du 2 septembre au 25 novembre 2017, les œuvres du peintre Pierre Desfons : un univers foisonnant de visions baroques et flamboyantes via un trait graphique acéré. L’artiste a créé un bestiaire délirant d’animaux sortis de son imaginaire dont toute ressemblance avec des espèces connues est tout à fait assumée
Oiseaux de proie. Proies surprises (de passage malvenu). Guerriers humains couchés laminés sous leur morphologie d’athlète. Muses indifférentes prenant le soleil. Naïades crawlant entre les rives du rêve et d’une fiction mordante défiant les lois de la délectation morose sous l’oeil d’un cheval rose, pur-sang cabré à crinière de taillures de crayon. Papiers découpés figurant le ciel où bestiaux inquiétants, emplumés de cheveux chamarrés, circulent. Humanité en fuite, terrassée. Buvards tachés, nuages traversés par d’inquiétants monstres volants. Cygne échappé au désastre prenant son pied sur une forme à chaussure.
Encres grattées, mines de plomb, pastels, craie blanche, sanguine, ailes de papier, papiers japonais, ou papiers glacés parfois. Ni trop, ni trop peu. Une pesée savante pour apothicaire du fantastique, qui ne joue pas les vendeurs de drogue roupillatoire. Invitation à une navigation sur place pour se rendre ailleurs. Pierre Desfons nous y entraîne avec sa boîte à outils d’enchanteur rompu aux jeux du cirque. Ce cirque étrange et familier ne ressemble t-il pas au notre ? Celui où nous ramons vaille que vaille, de gré ou de force ? La désinvolture implacable dont il fait montre n’a pas fini de nous surprendre.
En noir et blanc et en couleur. L’hommage au cinéma et à l’esprit Dada, revisité par les projecteurs de l’actualité, est bien là. Attention à ne pas louper les marches du carnaval, salutaire mais non moins réjouissant, qu’il ouvre sans faux semblants à nos regards et à nos questions. Son bestiaire épique, tour à tour sombre et désopilant, prend le dessus des représentations factuelles. Embarquement entre ciel et sol. Une croisière ludique. Sans autre passeport que la liberté de se laisser aller à déambuler d’un pont à l’autre.
Le fantastique offert ne chante pas pour rien. La magie proposée est bien celle d’un peintre descendu des estrades pour frayer une voie inédite. Sa manière très personnelle de jouer avec les éléments qui lui tombent sous la main voisine une recherche semblable à celle des entomologistes. L’oeil, la patience, la curiosité, l’audace. Une audace obstinée allie le quotidien et l’imprévisible au bénéfice d’une symbolique des situations. Les débris du territoire que nous arpentons au quotidien, Pierre Desfons les récupère et les colle dans un assemblage inspiré. Ça nous parle de qui nous sommes. Ses déguisements nous renvoient aux miroirs et aux mirages qui sont les nôtres. Les fables modernes qu’il livre renouvellent le genre. Terra incognita pour une renaissance attendue et souhaitée. Avis aux amateurs. Affaire à suivre de près.
Filons-lui le train. Circulez, il y a beaucoup à voir. Suivez les flèches de vos coups de coeur. Dans l’ordre ou le désordre. Allez-y solo ou accompagné. Tenez-vous les uns les autres. Tenez bon la rampe. Ici : dragons déployés à l’attaque d’un chien qui n’en a cure. Là : menaces noires et rutilantes de paillettes plongeant sur papillon de cuivre. Ailleurs : oiseaux japonais en piqué, précédés d’autres volatiles plus féminins à motif de kimono. Voici des poissons exotiques roses et argentés guettant une proie photographiée (mini-langouste, photogramme d’une oeuvre précédente), articulée à une pièce gallo-romaine trouvée à Glanum. Plus loin, atterrissage d’un violent volant à chevelure violette sur une branche sèche et rouge. Le noir et le blanc, de rigueur, vous reviendra sur un mode pataphysique. Absurde pas si absurde que ça. Le cinéma de Bunuel vous adresse une oeillade. Trois toréadors saluent, de chic, les mânes de Bacon à qui Pierre Desfons rend hommage et emprunte une clef.
Plus loin encore, père et mère ailés observent l’oeuf pondu d’où surgit un oiseau baroque qui n’en revient pas de leurs amours. N’oubliez pas ce proche accouplement d’un couple (au vol suspendu) l’oeil turquoise dans une absence apparente à ce qui va se produire. Arrêtez vous devant ces poissons (de type sardine) à tête haute pour accueillir un « pas des leurs » volants. Savourez la Naissance d’un amour au temps de l’Art moderne : un gros ptérodactyle y apporte, telle une cigogne, un homme mûr à une Lolita sous parasol, allongée devant la Villa Savoye du Corbu, à Poissy. Attardez vous aux larmes d’un tigre indien qui pleure des faux saphirs, et pensez au petit homme en coin cadre. Comme vous ? L’appel du large est du côté d’un cheval rouge cabré devant la mer où tangue un bateau cocotte en papier. Vous pourrez l’apprécier en grand format avec variantes, et vous surprendrez bientôt la becquée d’un oiseau indien multicolore nourrissant sa couvée sur fond oxymore en vignettes de guerre et de paix.
Observez ces oiseaux cogneurs qui heurtent la vitre du bureau déserté de l’artiste. Ils entreront par d’autres vitres. L’imagination du poète traceur est à l’oeuvre sans relâche. La ronde des célestes tachés, à couleurs griffés, tourne et cerne un ailé délicat étranger à leur hargne bariolée. Et voici l’Amante cachée. C’est une mante religieuse, oui. Chevauchant des roseaux sauvages (comme elle), aveugle à l’attaque des deux monstres à becs de couteaux. Gaffe à ses abattis. L’Arlésienne vous ramènera notre chère Provence. Une torera y fait une passe au taureau à corps de carte de la Camargue. Salut à l’artiste funambule qui exécute sans filet pour l’amour du sujet traité. Romance nocturne sur papier noir : un dragon ramène l’offrande d’un cauchemar polychrome, deux yeux de chat veillent au grain. Mais quel étrange cinq heures du soir pour cette petite mort contemporaine du taureau cramoisi de l’arène. La tête, en avant plan, du toréro couché est glacée de noir. Les poseurs de banderilles, accrochés en haut, à l’abri, sont en position retenue. Un cadran de montre, échappé au passé de corridas sous haute voltige, indique le temps arrêté.
Et maintenant vous pouvez refaire le tour du monde de Pierre Desfons, un tour ou plusieurs, une poignée de graviers dorés et de tissus de rêves effilochés plein la tête. Bonne visite.
Odile Barski, 2017