Portraits officiels
Photographies de Sylvie Huet
Alan Measles, 51 ans. Confident de Grayson Perry. Londres,. 2013
Tirage argentique sur papier Kodak Endura Premier
70 x 70 cm
© Sylvie Huet
Je ne pouvais pas imaginer, en retrouvant l’ours de mon enfance à quarante-neuf ans dans une foire à la brocante, l’enthousiasme que déclencheraient ces retrouvailles. Que tant d’adultes, ici et ailleurs, aient gardé près d’eux l’ours de leur vie, que certains aient inspiré des gens célèbres (Jean Paul Gaultier, Jane Goodall…), ça je ne le savais pas non plus. C’est en racontant cent fois mon histoire que je l’ai découvert. À la faveur des prises de vue l’ours est devenu Petite Madeleine, les archives de l’enfance ont été ressorties des boîtes et je suis entrée dans le secret des familles.
L’ours en peluche, celui qui nous garde, est comme une archive photographique, il est la mémoire de quelqu’un ou de quelque chose. Comme elle il nous rassure par sa présence à portée de main et autorise les rechutes dans le passé. Les photographies vernaculaires qui fourmillent d’indices sur « ce qui a été » sont pareilles aux ours blessés, rapiécés dont chaque couture rappelle un moment de l’enfance ou suscite un questionnement. Photographier l’ours, c’est un peu faire parler un ancêtre. On part à la recherche des photos où l’on posait avec lui, on téléphone à une mère, ou à un frère à qui on ne parlait plus depuis longtemps. « C’était quand ? » « Ça me revient ! » « Tu te souviens ? » Il était là, bien sûr, mais silencieux souvent. À le faire poser de longs temps devant le précieux Hasselblad, cherchant son regard le plus parlant, j’en ai fait un vrai type. Son « portrait officiel » accroché au mur, il s’est offert une seconde vie, à l’égal des autres membres de la famille. Plus proche encore, plus présent.
Sylvie Huet, 2017
Une seconde vie
Un dimanche, dans une foire à la brocante où l’antiquaire m’avait amené, j’ai vu s’arrêter une femme qui de loin me fixait, médusée. Elle s’est approchée et m’a serré contre elle. Rares sont les collectionneurs d’ours en peluche qui s’y prennent comme ça. Ça m’a rappelé la façon dont une petite fille me tenait dans ses bras quand elle était triste. Il y avait des années. Je n’avais rien pu faire le jour où sa mère, dans cette même ville, m’avait bradé avec quelques vieilleries. Est-ce que ça pouvait être elle ? Quand le marchand est arrivé elle a demandé : « Combien ? ». « 150 €, il a répondu. C’est un ours très recherché.». « Très recherché, vous ne savez pas à quel point. » Une heure plus tard j’étais dans ma maison, avec deux paires d’yeux qui me dévisageaient. Est-ce que c’était lui ? Les parents de Sylvie pariaient sur une imposture. Après avoir plongé à pleines mains dans les cartons à souvenirs, ils ont reconnu l’un de mes signes distinctifs et ont dû se rendre à l’évidence. Sylvie avait tellement peur de me perdre à nouveau qu’elle m’a installé chez elle à Paris. C’est là que l’histoire commence…
L’ours Copain, 2004