Jeux
Encres et aquarelles de Lucio Fanti
Toros, Eventail . 2016
Aquarelle de Lucio Fanti
Aquarelle sur papier Arches
33 x 63 cm
© Lucio Fanti
Du 3 septembre au 26 novembre 2016, FLAIR Galerie présente sous le titre « jeux » des aquarelles et des encres consacrées aux animaux du peintre et réalisateur de décors de théâtre Lucio Fanti. Taureau sauteur, chien rêveur, cheval noir aux contours dentelés, chimère mi-coq mi-âne, parfois une mouche ou une abeille posée là comme une incongruité… ce singulier bestiaire surprend, amuse, interroge. Romantisme, poésie, histoire et drôleries s’y mêlent, toujours avec ce qu’il faut d’ironie, un trait constant chez Lucio Fanti. On prend beaucoup de plaisir à ces variations sur un thème donné qui, l’air de rien, en disent long sur leur auteur. Entrez donc dans ses jeux.
Lucio Fanti a peint la nature, des eaux et des ciels inquiétants, des arbres et des pylônes, des « nénuphars urbains », des ceps de vigne et de gigantesques grains de raisin. Il a aussi détourné l’imagerie soviétique et bâti des châteaux de cartes et des labyrinthes. Autant d’œuvres qui valurent à cet Italien arrivé en France en 1965 les éloges de Régis Debray, de Jorge Semprun, d’Althusser ou d’Italo Calvino. Entre autres. Dans tout cela l’homme n’apparaissait guère. Ou à peine : un buste, une statue, des fantômes, des pantins.
Et les animaux ? Ils n’étaient pas mieux représentés : tout juste un taureau dans la nuée, les ombres de deux chiens devant une grappe de raisin, des chiens vus de dos que l’on retrouve ici absorbés dans la contemplation d’un coucher de soleil ou dans celle de la voûte étoilée. Ils font irrésistiblement penser au « Paysage du soir avec deux hommes » de Caspar David Friedrich, le maître de la peinture romantique allemande que Lucio Fanti aime beaucoup. Cependant il n’insiste pas. Romantique, lui ? Certes, mais de l’espèce originale des ironistes. L’énigme d’un paysage ou le silence des espaces infinis le touchent ? Il y plante des animaux et intitule ses aquarelles «Le sentiment de la nature » ou « Chien devant Le Grand Chien ». Habituelle défense d’un artiste sérieux qui se moque de l’esprit de sérieux et de ce qu’il nomme « l’artisterie », d’un peintre qui, en toute chose, mots compris, cherche son envers et s’est, par choix, toujours tenu en dehors des écoles. Lucio Fanti ou l’art du contre-pied.
Mais revenons aux animaux. Absents des tableaux, ils importaient pourtant à leur auteur qui confesse avoir « un petit côté misanthrope » et « une grande tendresse pour tout ce qui n’est pas les hommes ». Au point, voici des années, d’imaginer et de déposer le projet d’un journal titré « Le chien diplomatique » où l’on ne trouverait de nouvelles que du monde animal. C’était, à sa manière très personnelle, sans peser ni poser, aborder la question de notre relation avec les animaux. De les reconnaître.
Aujourd’hui Lucio Fanti joue avec eux et l’on découvre grâce à eux des fragments d’un autoportrait, un carnet de notes. Les taureaux évoquent la Camargue où il a possédé un mazet, et les corridas qui le fascinent. Pourquoi ne pas les peindre sur un éventail à facettes, un volume géométrique sur lequel il a beaucoup travaillé ? Pourquoi pas, en effet ? Présente aussi, l’Italie avec ce cavalier noir, un souvenir de Chirico près duquel Lucio Fanti installe, comme une plaisanterie, le fameux chien à six pattes qui sert de logo à l’ENI, la société d’hydrocarbures italienne. La Rome antique est au cœur d’une encre faite de lettres où se devine le célébrissime « Cave canem » de Pompéi, soit « attention au chien », une injonction à double sens selon qu’on entend le mot « attention ». Doit-on préciser que la lettre en peinture est un thème cher à l’auteur, tout autant que les jeux d’ombre et de lumière ? Quant à la Russie, la voici dans le très ressemblant portrait de Pavlov transformé en chien. Le savant qui utilisa le chien pour étudier le conditionnement est ainsi déshumanisé, ou l’animal humanisé. Encore une pirouette signée Lucio Fanti qui fait ici un clin d’œil à Charles Le Brun. Ou peut-être au groupe de rock « Pavlov’s dog », allez savoir.
De cet humour omniprésent, il ne faudrait pas conclure à une quelconque désinvolture de Lucio Fanti, en particulier dans l’exécution. À contre-courant une fois de plus, il revendique une réalisation classique, académique même. Ici, la référence ultime est le « Lièvre » de Dürer. C’est qu’il s’agit pour Fanti de représenter un sujet et non d’en donner une interprétation. En peignant un iris, il ne cherche pas sa peinture, mais la fleur même, « une merveille de la nature en soi ». Ensuite il surmonte l’iris d’une abeille, insecte hautement symbolique qu’on ne remarque pas d’emblée. Là pourtant est le secret de cette image, dans ce détail qui devient primordial puisqu’il lui donne son titre, « L’abeille ».
On se souvient alors de ces peintres qui au XVème et au XVIème siècle plaçaient une minuscule mouche sur leurs tableaux. Témoignage de virtuosité, la « musca depicta» (la mouche peinte) signifiait aussi l’éphémère et faisait du tableau une « vanité ». Lucio Fanti y a probablement songé.
Mais peut-être n’est-ce là que conjecture, délire d’interprétation. C’est un autre des jeux auxquels convie cette exposition.
Marie-Françoise Leclère, 2016